Synopsis
Joseph Vaughan a 12 ans lorsqu'il découvre le corps mutilé d'une fillette abandonné dans un champ, non loin de chez lui. Cette mort, qui n'est pas la première à frapper la petite bourgade d'Augusta Falls (Géorgie, USA), sera suivie par d'autres, toutes aussi atroces, perpétrées d'abord à Augusta Falls puis dans les localités voisines ou plus lointaines.
Devant un pareil déferlement de barbarie, les forces de l'ordre d'Augusta Falls et des localités voisines se révèlent très rapidement dépassées. La population apeurée s'isole, se renferme sur elle-même. Les étrangers deviennent des suspects : « Seul un étranger peut commettre un tel crime ! », « Il est naturellement exclu que le criminel soit un membre de la communauté. », puis des indésirables dont se débarrasse de gré ou de force ...
C'est dans cette atmosphère lourde de peurs et de tensions que Joseph et ses amis décident d’agir … à leur façon ; c'est-à-dire à la façon de gamins de 10 ans terrorisés mais courageux : ils se réunissent en une petite bande pompeusement baptisée « Les anges gardiens » et font le serment de veiller les uns sur les autre et tous ensemble sur leur communauté … Mais que peuvent faire des enfants contre la brutalité des adultes ? Malgré leur efforts et leur vigilance, le tueur court toujours égrainant les cadavres comme les miettes de pain le Petit Poucet tout au long de son périple mortel … Périple qui au détour d'un méandre ne pouvait que venir percuter, avec la violence d'un uppercut bien placé, le destin du narrateur, Joseph Vaughan.
Et c'est de cette rencontre, de cet affrontement qu'est née l’œuvre : A Quiet Belief in Angels, Seul le Silence.
Critique
Seul le silence, A Quiet Belief in Angels, est le premier roman traduit en français de Roger John Ellory.
Même si la mort et le meurtre tissent la toile arachnéenne de l'intrigue, Seul le Silence n'est pas à proprement parler un polar. En effet, contrairement aux héros de polars – détectives ou policiers – qui vont au devant du danger par devoir ou conscience professionnelle, Joseph Vaughan semble d'avantage chercher à fuir les événements qu'à les rencontrer, voir les provoquer : toute sa vie, il n'aura de cesse de vouloir se construire une vie paisible, loin des meurtres et de leur cortèges de souffrances. Et de fait, ce sont plutôt les meurtres et leurs conséquences, qui le poursuivront. Et c'est cette persistance du Mal dans la vie du narrateur qui donne à cette œuvre une véritable dimension tragique : où qu'il aille, Joseph sera hanté par la mort de ces fillettes et son obstination à vouloir comprendre les meurtres scelleront son destin, d'abord en l'isolant de sa communauté, en le forçant à la fuite et à l'exil, puis le conduiront en prison pour le meurtre de sa compagne.
Pas vraiment un polar, Seul le Silence n'en reste pas moins un authentique roman noir, pur jus.
Écrit dans une veine très réaliste, très attaché aux détails et à la justesse des faits , il propose une description sans concession de la mentalité des petites bourgades de l'Amérique profonde. Derrière un vernis fait de sagesse paysanne et de bondieuserie bon teint, apparaissent, dès les premières tensions, des sentiments bien moins nobles mais humains … trop humains peut-être. Haine, jalousie, bêtise, rien ne semble épargner les habitants d'Augusta Falls. Du shérif Dearing sensé faire régner l'ordre dans la communauté qui n'hésite pas à fermer les yeux sur le lynchage de l'un des siens, à la propre mère du narrateur, empêtrée dans sa bondieuserie qui invite le voisin dans le lit conjugal encore chaud du corps de son défunt époux. Seule, l'institutrice du village semble échapper à la bêtise ambiante – peut-être justement parce qu'elle n'est pas vraiment du village, une étrangère pour ainsi dire, peut-être aussi parce qu'elle est l'institutrice et que son instruction, ses connaissances la prémunissent contre l'abrutissement qui semble frapper le reste de la population. Mais le sort ne l'épargnera pas pour autant : elle ne fera que passer, telle une étoile filante, illuminant un temps la nuit du narrateur avant de disparaitre dans la nuit. Notons toutefois que parmi l'ensemble des protagonistes de cette affaire, elle sera la seule à mourir d'une mort naturelle. Un privilège rare, parmi les proches du narrateur.
Même la ville de New-York n'échappe pas au vitriol.. Le New-York d'Ellory est bien loin du rêve américain fait de paillettes, de lumières et de féerie : il s'agit d'un New-York viril, brutal, un New-York à la Céline. Il suffit de les écouter pour s'en convaincre :
Céline, d'abord, et sa découverte de New-York : « Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. [Voyage au bout de la nuit] »
Ellory ensuite : «Et Brooklyn se rua sur moi telle une bête sauvage. Plein de tours et d'espoirs ; la lumière se fracassant entre les bâtiments dont on ne voyait pas le bout, le verre d'un million de fenêtres de Manhattan, et le monde, tellement de monde, trop pour distinguer le moindre individu. Broadway, Union Avenue, pancartes désignant des écoles et des églises, des centres médicaux, publicités et affiches aux couleurs et aux messages resplendissant ; et encore du monde, plus de monde sur un seul trottoir qu'il n'en passait à Augusta Falls en trois saisons. »
La même violence dans le trait, la même sensation de brutalité dans cette ville toute de verre et d'acier, pas vraiment accueillante, loin les contes de fées … Quant à sa population, sa faune …, c'est à travers la plume acerbe d'Ellory que le vice, la cupidité et tous les petits travers de New-York la bohème vont être exposés à la lumière du jour. Levée du voile sur un univers de scribouillards prétentieux, imbus d'eux-même, pétris de haine du monde et de jalousie des autres, prêt à vendre père et mère pour un quart-d'heure de célébrité, sur un monde de pique-assiettes fauchés et avinés, attirés par l'argent et la célébrité comme des mouches par une charogne. Et au milieu de toute cette fange, comme une rose sur un tas de fumier, Bridget Mc Cormack, rencontrée au hasard d'une allée de bibliothèque (encore un lieu de culture) et qui illuminera la vie du narrateur jusqu'à ce que la malédiction ne vienne à nouveau le frapper et l'entraîner dans le cercle de l'horreur.
Au final, même si une certaine morale finit par émerger du roman, Seul le silence reste une œuvre très noire
Une œuvre marquée du sceau d'un pessimisme profond, indélébile tout d'abord. Une œuvre dont la sagesse semble vouloir nous apprendre que toute grande vie se paye de grandes souffrances, que les œuvres les plus profondes, les plus riches doivent avoir été forgées au plus profonde des enfers. Car si le narrateur ne cesse de croire à la possibilité du bonheur, ses espoirs de paix, de sérénité (sinon de normalité) semblent immanquablement devoir s'effondrer devant le poids du destin. Mais c'est précisément au milieu de cette souffrance, du fait de cette sur-abondance de tragédies, que naîtra - rédemption sublime ou prix du tragique - la destinée du narrateur, celle d'un écrivain prodigue dont les oeuvres marqueront de leur profondeur des générations de lecteurs ... (Rêve d'auteur ou signe du destin ?)
C'est ensuite une œuvre marquée par la violence, d'abord celle, atroce, des meurtres, et plus particulièrement des meurtres d'enfants, de jeunes filles – peut-être les plus insoutenables !! Mais très vite ces derniers serviront de prétexte, de révélateur à une autre violence, plus ordinaire, celle-là, mais toute aussi meurtrière. La violence des petites communautés rurales de l'Amérique profonde (et pas seulement de l'Amérique, il n'y a cas regarder devant nos portes !) abruties de superstitions religieuses et de peur de l'autre (même si ce dernier est un membre de longue date de la communauté), prompte à accuser son voisin et le voisin de son voisin des pires vilenies si cela sert leurs intérêts, Tout aussi prompt à condamner sans procès l'étranger pour la seule raison qu'il n'est pas l'un des « nôtres ». Car c'est t dans cette Amérique profonde, du Kansas, de la Géorgie et d'ailleurs que les lynchages d'afro-américains ont perduré le plus longtemps, le dernier en date était en 1966.
Bref, Seul le silence est une œuvre magistrale dont la lecture, peut-être un rien aride au début n'a pas cessé de me bouleversé tout au long de ce récit. Il s'agit de ces œuvres comme on en rencontre que trop rarement et qui laissent un sillage indélébile après leur passage, comme la queue d'une comète.